La Gare

          La construction de la ligne de chemin de fer Livron-Veynes qui lie la vallée du Rhône aux Hautes-Alpes, fut à l'époque, un évènement considérable pour la vallée de la Drôme et amena une révolution dans l'économie de cette région. Mais cela ne se passa pas simplement et de multiples démarches durèrent plusieurs décennies.

           La construction de la ligne de chemin de fer de Crest à Aspres-Les-Veynes débuta en 1879 et se prolongea durant de nombreuses années, entraînant une foule de problèmes (acquisitions foncières, création des passages à niveau, passerait-on rive doite ou rive gauche....)

          Cela commença le 16 mars 1879, date à laquelle le conseil municipal de Saou demande la création d'une halte de trains à Piégros-La Clastre. Ceci afin de faciliter l'écoulement des matériaux extraits ou fabriqués en forêt de Saou où règnait alors une intense activité. La conjonction de la vallée de Saou avec celle de la Drôme devant s'opérer par la construction d'une route et le percement d'un tunnel entre Saou et Piégros-La Clastre qui plus tard sera abandonné au profit d'un passage à ciel ouvert par l'actuel Pas de Lauzun.

          Le 31 août de la même année le conseil municipal de Piégros-La Clastre fait sienne cette demande. La délibération fait état "de la facilité" qu'il y aurait à mettre en communication les habitants de la vallée de la Gervanne avec la voie ferrée en construisant un pont sur la Drôme (pont qui sera construit de 1888 à 1890).

          Le conseil général de la Drôme, les communes du canton de Bourdeaux, ainsi que trois communes de la vallée de la Gervanne (Blacons, Montclar et Beaufort) apprécient la demande de Piégros-La Clastre. Le 20 janvier 1881, le ministère des travaux publics rejette la demande, mentionnant le peu d'intérêt qu'aurait une telle halte des trains dans cette localité. De 1881 à 1893, la lutte va continuer.

          Enfin le 15 novembre 1893, la compagnie P.L.M. (Paris à Lyon et à la Méditerranée) ayant accepté le principe de la création d'une halte (et non d'une station) à Piégros-La Clastre mais ayant refusé de la financer ; le ministère demande à la commune quelle somme celle-ci serait disposée à donner.

          Malgré une dépense de 22 000 francs engagée dans la construction du pont reliant Piégros-La Clastre et Mirabel et Blacons. Le 3 décembre 1893, la commune accepte de "subventionner" la création de la halte pour la moitié de la dépense, soit 750 francs. Par décision du 22 janvier 1894, le ministère met à charge de l'État les frais de construction de la halte de trains au PN 21, moyennant la subvention communale accordée. Cette halte sera constituée par un quai de 120 mètres de long, 2,50 mètres de large, un guichet percé dans le mur de la maison du garde barrières, servira à la distribution des billets et un auvent abritera ce guichet. Le tout est évalué à 1 350 francs. Ces travaux ne pourront débuter que lorsque la participation communale aura été versée dans les caisses de la compagnie P.L.M. Cette halte ne sera ouverte qu'aux voyageurs non munis de bagages encombrants.

          Les travaux sont terminés en juin de la même année et la mise en service a lieu le 1er août suivant. Ce jour-là un train s'arrêta pour la 1ère fois à Piégros-La Clastre.

          Devant le nombre important de voyageurs et compte tenu que ceux-ci ne peuvent s'abriter nulle part, les jours de mauvais temps, le conseil municipal dans sa séance du 11 novembre 1894, demande qu'une salle d'attente, attenante à la maison du garde barrières, soit construite. C'est en clair, la demande de transformation de la halte en station. Cette requête sera renouvelée le 14 mars 1897 et le 17 novembre 1901. La bataille pour une gare recommençait. Le 11 avril 1896 le conseil général de la Drôme émet le voeu que la halte de Piégros-La Clastre soit tranformée en station. Durant les années suivantes, ce sera le statu-quo et chacun restera sur ses positions. En 1907, le maire demande que soient accordés aux trains, des arrêts plus longs à la halte. Il mentionne, pour étayer sa demande, un accident survenu à un voyageur qui n'aurait pas eu le temps de monter correctement dans le train. Le ministre répond négativement et motive son refus par la faible fréquentation (à ses yeux) de cette halte et la faute professionnelle commise, ce jour-là par les employés des chemins de fer. Le 30 juillet 1911, après plusieurs démarches auprès du ministre et de la compagnie P.L.M., la commune s'engage à verser à la compagnie, la somme correspondant au coût total de la transformation de la halte en station, soit 10 400 francs. Afin de couvrir les annuités de l'emprunt correspondant, il est établi des surtaxes locales temporaires qui seront perçues sur les billets vendus à la halte. La perception de ces taxes est établie pour 16 ans. Le 22 décembre 1911, le ministère des travaux publics décide d'accorder la construction de la gare, moyennant la participation financière communale prévue. Cette gare sera une station avec abri à voyageurs et bagages jusqu'à 100 kg. Suite à une lettre du ministre, le conseil municipal accepte, le 28 janvier 1912, les conditions fixées pour la transformation de la halte en station à savoir : la commune remboursera sur facture, à la compagnie la totalité des dépenses (quelque soit le montant), elle livrera gratuitement à la compagnie les terrains nécessaires. Elle paiera en outre, une indemnité de 200 francs au chef de la halte pour perte de récolte et en cas d'installations complémentaires ou extension des services, les dépenses engagées seront entièrement à la charge de la commune.

          En cas de non paiement, l'administration se réservant le droit de supprimer temporairement ou définitivement la station. Le 30 juillet 1912, la commune accorde sa participation financière. Cette même année, la compagnie décide la construction de la gare. Mais c'est seulement en 1913 que les travaux débuteront.

          Le 15 avril 1914 : c'est le grand jour, c'est la mise en service de la petite gare de Piégros-La Clastre qui sera inscrite sur la liste des chemins de fer sous le nom de "station de Piégros-La Clastre - Blacons". Cette gare, si elle était petite par la taille n'en rendra pas moins de grands services à toute une population (qui ne possédait pas encore l'automobile), et contribua au développement de l'économie de toute une région rurale. Elle desservait non seulement cette partie de la vallée de la Drôme, mais aussi celle de la Gervanne qui comptait à cette époque pas moins de 3 600 habitants et 14 usines (la commune en possédait alors 2 pour 822 habitants).

          Les années passent et les chefs de gare se succèdent : ce sera d'abord Madame Lebras, puis Madame Valentine Reynaud, fille de la précédente ; Madame Marthe Faure prendra le relais et sera la dernière chef de gare en titre. Madame Jeanne Ramus qui tenait le café de la gare assurera pendant 16 ans les remplacements de jour comme de nuit. En 1922, la gare est reliée téléphoniquement à celle d'Aouste. Le nombre de voyageurs est alors de 8 000 par an. La gare fonctionne normalement et rentablement jusque dans les années 1960. Même les trains de marchandises s'y arrêtent lorsque leur présence est signalée par téléphone aux gares de Saillans ou d'Aouste suivant le cas. Ces marchandises sont souvent hétéroclites, mais sont aussi formées de soiries des usines de Blacons et des cocons de vers à soie à l'époque des "magnaus". En avril 1962 - soit moins de 50 ans après son ouverture - la gare est fermée au public. Seule subsistera une halte et ce sera le chef de train qui délivrera les billets aux voyageurs devenus plus rares. A partir de cette année là, le compte à rebours commence. Si les voyageurs sont plus nombreux (surtout le dimanche) aux trains de "descente" qu'aux trains de "montée", le trafic n'en est pas moins en diminution constante et ce qui devait arriver arriva : la fermeture totale intervient quelques années plus tard, lorsque la compagnie supprime les autorails de cette ligne. Une réouverture provisoire aura lieu durant le fameux hiver 1970-71, pendant lequel la marée blanche bloqua les routes, rendant au train toute son utilité. Curieusement, cette fermeture n'attira pas les foudres des élus ni des rares utilisateurs : c'est ainsi que cette gare qui avait réuni toute une génération fermera ses portes dans l'indifférence générale et sans soupir. Elle deviendra une bâtisse anonyme et sera louée par la S.N.C.F. comme résidence secondaire. En septembre 1986, c'est la fin de la belle histoire. Sur décision de la S.N.C.F. (sans que les communes qui avaient pourtant grandement et généreusement contribué à sa création en soient avisées), la gare est démolie, écrasée à coups de pelle mécanique. Il aura fallu 35 années pour obtenir que cette gare soit construite, un an pour la bâtir et 3 jours d'engins mécaniques pour la détruire. Cette station de chemin de fer qui a rendu d'immenses services à la population clastroise comme à celle de toute une région rurale n'aura donc vécu que 72 ans.


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